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Quand le « non » d’une femme vaut moins que le « non » imaginé d’un homme

Quand le "non" d'une femme vaut moins que le "non" imaginé d'un homme

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Les femmes sont des objets à conquérir, à posséder. C’est la réflexion que je me suis faite, lundi dernier.

L’ANECDOTE

Enfin tout au long de ma vie, mais tout particulièrement lundi dernier.

J’étais paisiblement installée à la plage, lorsqu’un homme vient m’aborder. Je suis déconcertée et j’ai un peu peur, car je suis seule lors de cette virée à l’océan. Mais, une part de moi rationalise et se dit que j’ai déjà (rarement) été abordée respectueusement dans ma vie, alors pourquoi pas.

Je me dis aussi naïvement, qu’il ne s’agit peut-être pas de drague. N’est-ce d’ailleurs pas déstabilisant de vouloir échapper à de la drague quand on ne sait pas encore si cela en est ? Au risque de paraître trop sûre de soi ? Simultanément à l’écriture de ces lignes, je me dis que peu importe si l’on peut avoir l’air imbu de sa personne, si cela permet de conserver sa tranquillité.

Je finis donc par comprendre que dans ce cas là, il s’agit bien d’une tentative de drague. Je me ferme, ne retourne pas les questions, et lorsqu’il me demande s’il peut s’asseoir avec moi, je refuse. Choqué, il me demande alors s’il peut me contacter plus tard, ce que je refuse à nouveau. Puis il me demande “Pourquoi ?”, et je réponds simplement que je ne suis pas intéressée. Ce à quoi il rétorque une analyse pseudo psychologique (je suis psy, mon pauvre), selon laquelle je serai trop intimidée par cette “rencontre” mais que devrais m’ouvrir à l’expérience (le consentement n’est définitivement pas acquis pour ce monsieur).

Arrive alors dans ma tête le dilemme habituel. Je déteste devoir dire que je suis en couple pour justifier mon refus lorsque l’on m’aborde. Car ce n’est pas “à cause” de cela que je refuse. Et lorsque j’étais célibataire, je n’ai pas plus donné mon snap dans la rue d’ailleurs. Je refuse car je ne suis pas intéressée, entre d’autres raisons car j’ai un conjoint.

Mais je sens bien que, encore une fois, je suis obligée de sortir cette carte magique et amer, pour me libérer de cette pression. Ce à quoi il répond, “il fallait commencer par là, je comprends maintenant !”. Plus tard, sous la douche, en train de me refaire la scène, j’ai envie de rétorquer “Mais qu’est-ce que tu comprends, au juste ? Qu’il n’y a aucune autre raison qui justifie mon désintérêt que ma relation ?”.

Et c’est là que la réflexion qui a inspiré le titre de ce post débute. Je me sens à ce moment là, comme un objet, à posséder, à conquérir. Car mon “non” n’avait aucun poids, jusqu’a ce qu’il devienne le nom de mon copain dans ses oreilles. Puisqu’un objet ne pense pas, c’est seulement la présence imaginée d’un autre homme qui rend la mission impossible. La parole imaginée d’un homme a plus de poids que la parole réelle d’une femme, pour lui, et pour tant d’autres. 

Cette histoire, ce n’est pas que la mienne, c’est l’histoire de statistiquement presque toutes les femmes. Je m’en doutais, je ne suis pas si spéciale, et c’est d’ailleurs pour cela que je l’ai vu aborder une autre personne dix minutes plus tard.

J’aimerais aborder aujourd’hui les conséquences que cela peut avoir sur le corps et l’esprit d’une femme. Car c’est ce dont on parle ici, chez Isidicri.

 

CE QUE DIT LA PSYCHOLOGIE SOCIALE 

Pour commencer, et comme je l’ai décrit en début de texte, ce genre d’expérience peut être source de stress: “Le stress est une réaction physiologique de notre corps lorsqu’il se trouve dans une situation où il n’a pas le contrôle, ou une situation de danger (…), nous ressentons de l’insécurité” (Aurélie Croiset, Dr en psychologie). Dans ce type de situation, le corps est en alerte, et l’esprit peut se figer. Et des hormones se libèrent, pour essayer de rétablir l’équilibre. Or, lorsqu’il y a une libération trop fréquente de cortisol, des conséquences telles que prise de poids, hypertension, ostéoporose, etc. Et cela impacte aussi la santé mentale en altérant la mémoire et en augmentant le risque de troubles anxieux ou dépressifs (institutducerveau.org).

Ce type d’événement peut être source de stress chronique, car c’est quelque chose de répété dans le temps, presque quotidien pour certaines personnes.

Et ces expériences répétées vont influencer la manière de s’approprier et de vivre les espaces. C’est ce qu’explore la psychologie sociale de l’environnement, qui étudie les interactions entre l’individu et son environnement physique dans ses dimensions spatiales et temporelles (Moser, 2003) et qui permet une lecture très intéressante de ce que certain.e.s appellent de la drague, quand d’autres l’appellent du harcèlement de rue:

  • L’espace personnel (Robert Sommer, 1969) est une bulle que l’on a autour de soi, qui ne se limite pas à la surface de la peau. Cette bulle permet de réguler l’intimité, de se défendre, de se protéger et de réguler la communication. Un individu cherche constamment à garder le contrôle de son espace personnel, car lorsqu’il est brisé, des comportements compensatoires se mettent en place: se recroqueviller, changer de trottoir, détourner le regard, hypervigilence, diminution des capacités cognitives, etc.
  • Le behavior setting (ou lieu comportemental) (Barker, 1968), désigne des sortes d’attitudes associés à un lieu. Par exemple, le fait de chuchoter dans une bibliothèque. Ces scripts à adopter évoluent avec les lieux et les personnes. Si je reprends la situation de la plage, je peux éviter à l’avenir d’y aller seule ou bien me mettre près d’une famille, pour éviter qu’une situation similaire se reproduise. Et c’est pour cela que je parle aujourd’hui de psychologie environnementale, car ces interactions peuvent sembler anodines et pourtant, affecter le comportement d’une personne et puis d’un groupe social.
  • Les chemins mentaux (Kevin Lynch, 1960), structurent la carte imaginée d’un endroit, que l’on se fait à partir de notre vécu, ou d’histoires entendues. Les femmes (ou autre minorité) sélectionnent souvent certains chemins ou les modifient (éviter les parcs la nuit, préférer les rues commerçantes), et évitent certains endroits (gares, tunnels, arrêts isolés) par anticipation du danger ou à cause d’expériences négatives passées. 

CONCLUSION

Que dire pour conclure, sinon que la santé mentale est profondément politique, au risque de me répéter. Car tout le système de fonctionnement dans l’espace public et dans son espace intérieur peut être influencé par des micro-agressions quotidiennes. Ce qui peut également installer un sentiment d’impuissance, face à ce que l’on aurait pu, dû, faire ou répondre. Ou une sensation décalage, entre la personne féministe et badass que l’on pensait incarner, jusqu’au jour où un ‘T’as snap ?“, suivi d’un figement fait tout voler en éclat.

Mais je refuse de conclure cette réflexion par une note négative. Car nos vies se se résument pas un ou plusieurs moments. Même s’il peut arriver de changer de chemin pour rentrer, il peut aussi arriver pour une autre d’y marcher fièrement. Car c’est ensembles, dans le lien, que nous sommes plus fort.e.s, que nos corps se réparent.

Car être une féministe badass, c’est aussi partager le ménage, conduire quand son conjoint est dans la voiture (et pas parce qu’il a bu !!), soutenir les autres femmes et minorités de genre… la liste est bien sûr infinie, je vous laisse la compléter en commentaire !

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