La thérapie est-elle un espace politique ?
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“Je suis là pour vous écouter, sans jugement.”
C’est souvent ce que l’on peut entendre en début de thérapie. Et pourtant… Peut-on vraiment être “neutre” dans notre monde actuel ? Est-ce même souhaitable ?
La thérapie est souvent présenté comme une bulle protégée, un lieu hors du temps. Mais, je crois que c’est l’inverse, que la thérapie est actrice de la scène sociale.
Elle est intime, oui. Mais elle est aussi profondément politique:
« Le politique: l’ensemble des régulations qui assurent l’unité et la pérennité d’un espace social hétérogène conflictuel » (Braud, 2019)
Alors, qui de mieux placé que les espaces de soins de santé mentale pour “réguler” l’espace social ?

QUAND LE POLITIQUE ENTRE DANS LE CABINET
On n’entre jamais seul·e dans une salle de thérapie. On y entre avec son histoire, ses héritages culturels, ses appartenances groupales, ses représentations du monde et des autres. Mais surtout, on passe la porte avec son corps. Et ce corps, il est situé sur le curseur social. C’est à dire qu’il est l’objet de représentations, de stéréotypes, de préjugés, de discriminations. Et c’est d’ailleurs tout l’objet d’étude de la psychologie sociale ; l’influence de la présence d’autrui, réelle ou supposée, sur nos comportements, pensées et émotions. De ce qui est à l’extérieur, et qui façonne pourtant l’intérieur.
L’espace thérapeutique, c’est le résultat de la relation entre thérapeute et patient.e. Ce qui nous donne l’équation suivante (oui je rentabilise mon bac S spécialité maths) :
thérapeute + patient.e = espace thérapeutique
Chaque partie de cette somme, est constituée d’expériences sociales, qui se mêlent l’une a l’autre lors d’une séance de thérapie. Chaque partie de cette somme apporte avec elle une partie du monde extérieur, en dehors du cabinet. L’espace thérapeutique remet aussi en jeu ces dynamiques là, car l’espace thérapeutique est constitué d’humains, d’être sociaux.
En consultation, nous n’arrivons pas vierge de tout contexte. Nous arrivons, par exemple, avec la fatigue de devoir se justifier, avec les injonctions à se calmer, à être “plus adapté.e”, “moins sensible”, “plus souriant·e”. Nous arrivons, parfois, après des années à se demander si ce qui est vécu est vraiment “grave” ou si c’est exagéré. Toutes ces micro-agressions répétées, sont des oppressions systémiques, qui impactent la santé mentale. Ce n’est pas “juste” personnel. Et, la personne dans le siège de thérapeute appartient aussi à ce système, et fait partie de ces dynamiques d’oppressions, d’un côté ou de l’autre.
QUAND ON NE NOMME PAS LES SYSTEMES, ON LES REPRODUIT
Une tendance générale du gouvernement français est au colorblindness, ou daltonisme racial. Ces termes désignent le fait de se proclamer comme étant indifférent.e aux caractéristiques et aux traits raciaux d’une personne. Cette promesse peut sembler très belle au premier abord, car elle promeut un monde où les discriminations n’existeraient pas. Seulement, une fois les paillettes retombées, cette attitude relève plutôt d’une invisibilisation des discriminations et oppressions existantes.
On ne peut pas reconnaître quelque chose dont on ne parle pas.
La même affirmation s’applique en thérapie. Quand on ne nomme pas les systèmes d’oppressions à l’oeuvre, on les cautionne, on les reproduit.
Ainsi, l’espace thérapeutique peut devenir violent quand il invalide les réalités. Quand il refuse de voir quand il pathologise des conséquences d’oppressions systémiques. Car ceci sous-tend que le problème est intrapsychique. Ne pas nommer les oppressions dans un cabinet, ce n’est pas être neutre. C’est prendre en fait le parti du monde tel qu’il est. C’est-à-dire un monde qui maltraite certains corps et en privilégie d’autres.
Par exemple, une personne qui vit dans un monde où son identité est minoritaire, peut développer des stratégies d’adaptations, comme l’hypervigilance, l’anxiété, la fatigue, la colère, le retrait. Ce ne sont pas des troubles à guérir, ce sont des signaux de survie. Le rôle de la thérapie, ce n’est pas de les effacer, mais de les reconnaître, de les comprendre, puis de permettre à la personne de choisir, en conscience, ce qu’elle veut en faire.
Dire “je ne fais pas de politique en thérapie”, c’est un privilège. Celui de pouvoir ignorer le poids du racisme, du genre, de la classe sociale, du handicap, … Lorsque l’on ne prend pas en compte le contexte, on finit par rendre la personne responsable de sa souffrance. Souvent, en utilisant des stéréotypes ou des préjugés, et donc on discrimine, on reproduit.
Et ça, ce n’est pas neutre. C’est choisir de détourner les yeux.
SOULAGER SANS EFFACER
Moi, je ne peux pas faire ça. Je ne peux pas recevoir une personne racisée, queer, migrante, épuisée par ses luttes, et faire comme si on était “hors contexte”. Je ne peux pas ignorer le système qui l’abîme.
Je choisis une thérapie qui nomme. Une thérapie qui situe. Une thérapie qui politise.
C’est une posture de soin. Car pour se réparer, il faut d’abord être reconnu·e. Pour se remettre en mouvement, il faut réaliser que son immobilité n’est pas une question de volonté. Pour déposer sa honte, il faut comprendre qu’elle n’est pas née en soi, mais dans un regard extérieur.
Une thérapie politique ? C’est simplement une thérapie qui reconnaît le monde dans lequel on vit, son fonctionnement et les enjeux, les pressions que cela applique à la personne que l’on reçoit. C’est un espace où l’on peut dire:
“Oui, votre corps a appris à se protéger, et il a bien fait”
C’est une thérapie qui ne pathologise pas l’oppression, mais qui fait de l’espace pour les vécus, sans les réduire à ça non plus. Parce que l’on ne se résume pas à ses blessures. Mais pour les guérir, il faut d’abord pouvoir les nommer. Une première étape pour cela, peut être mon guide des micro-agressions, pour apprendre, comprendre, reconnaître. Que l’on soit patient.e ou thérapeute, ou curieux.se !
La thérapie peut devenir cet espace de sécurité où l’on peut aborder :
- Le stress et le racisme,
- L’anxiété et l’héritage cutlurel,
- Le corps et le système dans lequel il évolue.
Je crois que prendre soin de soi dans un monde qui abîme, c’est déjà politique. C’est une façon de dire : “je mérite de respirer”, même si on m’a appris le contraire. Alors, oui, la thérapie est un espace politique. Et c’est une bonne chose. Parce que c’est là, dans cet espace situé, que peut commencer une vraie réparation, une reprise du pouvoir.
Super article et très pertinent dans le contexte politique actuel !
Merci beaucoup pour votre retour !